Cinq jeunes citadins décident de passer un week end dans une cabane en pleine forêt. A la nuit tombée, ils y découvrent des objets de sorcellerie et sont assaillis par les esprits de la forêt...
Sam Raimi, originaire de l'état du Michigan, commence à réaliser des films en super-8, essentiellement humoristiques, dès l'âge de 13 ans, notamment avec son complice Bruce Campbell. En 1978, il rencontre Robert Tapert, et ils créent une toute petite compagnie de production indépendante : Renaissance Pictures. Après quelques petits succès régionaux, ils envisagent de tourner un long métrage en 16 mm. Vu les bons résultats de petites œuvres auto-produites, comme Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper ou Halloween (1978) de John Carpenter, Robert Tapert encourage Raimi à tourner un film d'horreur, bien que celui-ci ne soit pas spécialement intéressé par ce genre. Ils rencontrent alors Tom Sullivan, un dessinateur qui travaillait aussi à l'élaboration de maquillages pour la fête d'Halloween : oui, il s'agit bien de "notre" Tom Sullivan, le plus célèbre illustrateur rattaché au jeu de rôles L'appel de Cthulhu ! On le charge de s'occuper des effets spéciaux. Une fois le scénario d'Evil dead achevé, ils tournent alors Within the woods (1978), un moyen-métrage en super-8, ébauche du long métrage qu'ils souhaitent tourner, destinée à convaincre d'éventuels investisseurs. En fin de compte, un très modeste budget de 50.000 dollars est rassemblé, et le tournage de 11 semaines commence, avec une équipe entièrement non-professionnelle et bénévole. Tom Sullivan ne persévérera pas dans le domaine des effets spéciaux (mais il collaborera tout de même aux deux volets suivants d'Evil dead) et se consacrera avant tout à sa carrière d'illustrateur, pour le plus grand bonheur des rôlistes Lovecraftophiles ! L'acteur Bruce Campbell va devenir très populaire chez les amateurs de cinéma fantastique et connaîtra une carrière dans ce domaine : on le retrouve dans Maniac cop (1988) de William Lustig, Los Angeles 2013 (1996) de John Carpenter... Le compositeur Joseph LoDuca qui fait aussi ses débuts sur Evil dead, va aussi percer dans son domaine : outre les productions de Sam Raimi, on le retrouve au générique de Necronomicon (1994), Le pacte des loups (2001) de Christophe Gans...
Le propos d'Evil dead est d'une grande simplicité cinq jeunes citadins, deux garçons et trois filles, passent une nuit dans une cabane en pleine forêt. Ils y découvrent, dans la cave, un exemplaire du Necronomicon (fameux ouvrage de sorcellerie inventé par Lovecraft, mais est-il besoin de le rappeler ?) ainsi qu'une bande magnétique sur laquelle ont été enregistré des invocations d'entités démoniaques. Les jeunes gens les écoutent et libèrent ainsi des puissances maléfiques qui vont les harceler pendant toute une nuit de démence sanglante. L'argument est assez proche de Massacre à la tronçonneuse et La colline a des yeux : un groupe de citadins pas très futés se perd dans une nature hostile, où ils vont se heurter à des forces barbares qui leur feront subir de brutales persécutions. La situation de siège (les personnages se calfeutrent dans la maison afin de se protéger des puissances démoniaques qui rôdent autour de la maison) évoque irrésistiblement La nuit des morts-vivants et, dans une moindre mesure, Zombie (1978) de George Romero.
On retrouve d'ailleurs des morts-vivants : une fois qu'un des jeunes est occis, il se change en un zombie au service des esprits du Necronomicon. Néanmoins, Evil dead propose une vision de ce monstre allant à l'encontre des clichés imposés par La nuit des morts-vivants ou L'enfer des zombies (1979) de Lucio Fulci : au lieu d'être des macchabées se déplaçant lentement et fastidieusement, ce sont de véritables démons bondissants, grimaçants, ricanants et obéissants à des forces magiques malfaisantes. Ils évoquent plus Regan possédée dans L'exorciste que les zombies lents du bulbe d'un Zombie. L'influence de la Bande Dessinée américaine horrifique des années 1950, dans le style de Creep ou Tales from the crypt, est alors perceptible à travers l'allure très graphique et énergique de ces monstres. Leur créateur, Tom Sullivan, est d'ailleurs un dessinateur de formation. Notons au passage l'excellente qualité des maquillages, ainsi que des nombreux effets spéciaux gore, tout à fait sidérants au vu des conditions difficiles de ce tournage.
Surtout, ce qu'on trouve dans ce premier film de Sam Raimi, c'est son incroyable sens de la réalisation. Multipliant les travellings virtuoses, réalisés avec des moyens de fortune (mobylette, bateaux...), et les cadrages dynamiques, combinant un montage fluide et efficace à un sens plastique très sûr (la photogénie de la forêt nocturne balayée parcourue par des nuages de fumée...), Raimi parvient à imposer un style inventif et efficace, où se mêlent l'influence de la bande dessinée américaine (dans ses cadrages serrés et la limpidité de son montage notamment) et son goût pour le cinéma burlesque (il a toujours avoué une grande passion pour les films des Three stooges). La direction d'acteur indique aussi son goût pour la comédie, avec des interprétations très physiques, évoquant même parfois des dessins animées (Ash tirant, par les pieds, sa compagne possédée hors de la maison...) : Bruce Campbell, avec son visage aux pommettes et au menton saillants et son énergie apparemment inépuisable, s'inscrit à merveille dans cet univers.
Pourtant, au milieu du film, une certaine impression de redondance se fait sentir. Les situations avec les zombies deviennent un brin répétitives, et la réalisation pèchue, faute de renouvellement des situations, finit par paraître un peu assommante. Heureusement, les premières interventions des forces des ténèbres (le fameux "viol" commis par des branches), tout comme l'installation de l'ambiance nocturne effrayante, sont de vraies réussites. La dernière demi-heure, à partir du moment où Ash se retrouve seul dans la cabane face aux démons, est certainement la partie la plus convaincante : délaissant des débordements gore pas si originales que cela (Zombie date tout de même de 1978), Raimi se tourne vers une ambiance poétique et fantastique extrêmement inventive, notamment au cours de l'exploration de la cave, ou lors d'un hommage à Orphée (1949) de Jean Cocteau : tous les objets de la maison se mettent alors à être habités par des forces malfaisantes et à persécuter le survivant isolé.
Malgré une petite baisse de rythme, au milieu du métrage, Evil dead reste un bon film d'horreur vingt ans apès sa sortie. Il connaîtra un accueil très favorable des amateurs d'épouvante français qui, rodés par Suspiria (1977) de Dario Argento et L'enfer des zombies de Fulci, réclament leur dose annuelle de gore. Le film de Raimi est alors découvert au marché du film de Cannes, puis présenté triomphalement au festival du film fantastique de Paris. Il bénéficie en plus de l'explosion de la presse de cinéma fantastique française, qui connaît un grand essor : si L'écran fantastique était bien diffusé depuis 1970, Mad Movies devient largement distribué à partir de 1982 et Starfix apparaît en 1983. Tous ces journaux vont faire d'Evil dead un évènement majeur du début des années 1980, parallèlement à la disparition, en pratique, de la censure anti-gore en France, à partir de 1981 (auparavant, des films comme Zombie ou Massacre à la tronçonneuse subissaient des interdictions totales dans notre pays). Aux USA, le film est sorti en version intégrale, sans passer devant la commission de classification des films : cela entraîna néanmoins une distribution très restreinte d'Evil dead dans son pays d'origine. C'est pourquoi Sam Raimi va réaliser Evil dead 2 en 1987, un remake amélioré de cette œuvre, qui sera bien plus largement diffusé. Entre les deux Evil dead, il réalise Mort sur le grill (1985), un film noir co-écrit avec les frères Coen (Fargo (1996)...), alors parfaitement inconnus : hélas, ce n'est pas vraiment un succès public.